Polyphonie Coloscopique | Nouvelle Noire

Quarante-huitième “Nouvelle noire pour se rire du désespoir” et onzième de la saison 3. Avec une nouvelle fréquence puisque je passe d’hebdomadaire à bi-mensuelle. Vous ne suivez pas le rythme. J’écris plus vite que vous lisez. Bon, blague à part, entre les romans, les essais et les nouvelles, je me suis fait la remarque qu’une nouvelle par semaine, c’était trop. Alors rendez-vous le premier et le troisième vendredi de chaque mois à dix heures !

Pour cette nouvelle hilarante, on ne change pas une équipe qui gagne : un personnage quelconque, une histoire banale, le retour du médecin barge et un enchaînement de situations délirantes jusqu’à un climax de bon aloi.

Tino se rendit chez le médecin car son mal de ventre devenait insupportable. Matin, midi et soir, Tino souffrait du ventre. Une douleur permanente. Il pensait avoir tout essayé : médicament, régime, ablution, jeûne, recherche sur internet pour identifier des raisons, des explications, des solutions, mais rien n’y faisait, ses entrailles se tordaient dans tous les sens. Il espérait que son médecin trouverait. Tino était dur au mal, cela faisait déjà trois mois qu’il douillait. Son docteur détonait, mais il savait de sources sures que ses diagnostics tenaient la route.

– Ah ! te voilà toi.

Il tutoyait tous ses patients. Ça les mettait à l’aise prétendait-il.

– Oh, tu m’as l’air tout chiffonné toi.

– Oui je…

– Déshabille-toi.

– Mais

– Mais rien du tout, quand je te dis de te déshabiller, il faut te déshabiller et t’allonger.

Alors Tino fit ce que le médecin demandait. Le docteur c’est l’autorité, il connait son métier.

– Le caleçon aussi ?

– Mais oui le caleçon aussi. Tu le descends juste un peu.

C’était plus gênant mais un médecin, ce n’est pas pareil, Tino fit glisser le caleçon et attendit, allongé.

Le docteur vint se poser au-dessus de lui, avec le sourire. Il avait toujours le sourire ce docteur :

– Ça va mieux ?

– Heu, oui, répondit Tino.

Et c’était vrai qu’il n’avait plus pensé à son mal de ventre.

– Bien, tu peux remonter le caleçon.

– Mais, mais pourquoi je l’ai baissé ?

– Parce que mon cher, quand un patient a les couilles à l’air, il est tout de suite plus docile. C’est souvent le premier truc que je demande. Je te l’avais jamais fait toi ?

– Non.

– C’est pour ça. La deuxième fois, ça passe-moi bien ahahaha.

L’entretien démarrait moyennement mais Tino savait qu’avec ce médecin, il fallait prendre son mal en patience.

– Allez raconte-moi tout.

– J’ai mal au ventre.

– Au ventre ou à l’estomac ?

– C’est à dire ?

– T’as envie de chier ou t’as envie de gerber ?

– Ah non, plutôt des diarrhées.

– Ah, tant mieux parce qu’avec les indécis, c’est toujours plus compliqué. Ça fait mal ?

– Ben oui c’est ça. J’ai un peu beaucoup la courante et c’est très douloureux.

– Depuis combien de temps ?

– Trois mois ?

– Ah ben mon cochon, trois mois que t’as la courante et tu viens que maintenant ? C’est ta femme qui doit être contente.

Il lui posa encore deux trois questions, sur les symptômes, fit deux trois vannes et lui prescrit un médicament.

– Si c’est passager, ça devrait se résorber. Une petite inflammation du colon. Tu reviens si ça persiste. Sinon je ne veux plus te voir et ça fera vingt-trois euros.

Tino se sentit instantanément mieux. Il alla chercher les médicaments, les prit et attendit. Il attendit mais rien ne vint. La douleur restait aussi forte. Il patienta dix jours de plus et convint d’un nouveau rendez-vous.

– Merde, encore toi ?

– Oui.

– Alors ?

– J’ai toujours mal.

– Pareil ?

– Pareil.

Il reprit la tension de Tino, fit deux trois palpations.

– Bon, on va faire deux trois analyses. Allez va-t’en. Et reviens quand tu as les résultats. Hep, ici c’est comme au lavoir. Faut payer même si le linge sort sale. Vingt-trois euros.

Trois jours plus tard, Tino redisait bonjour au médecin :

– Tu devrais prendre un abonnement.

– Oui.

– Je fais les dix visites à deux cent trente euros, payable d’avance.

– C’est le même prix que dix visites à vingt-trois euros !

– Eh bah si c’est pareil, aboule les deux cent trente, se marra le docteur.

– Mais non, ça n’a pas de sens, tenta Tino.

– Ah, ces cartésiens. OK. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle.

– Je vais prendre la mauvaise en premier.

– Mais qu’est-ce que vous avez tous à croire que vous avez le choix dans l’ordre ? À chaque fois que je dis ça, vous me répondez « Je vais choisir… » mais tu choisis rien du tout mon petit bonhomme. C’est moi qui raconte.

Tino trouvait que le médecin abusait un peu mais son rire était tellement communicatif.

– Voilà, tes analyses sont très bonnes.

– Ah, et la mauvaise nouvelle ?

– Ah non, ça, c’est la mauvaise nouvelle.

– Ah bon ?

– Oui parce que si tes analyses sont bonnes, ça veut dire qu’il y a de grandes chances que ce soit la maladie de Crohn.

Tino qui s’était refusé à aller voir sur internet n’avait jamais entendu parler de la maladie de Crohn pourtant la première pensée qui lui vint fut :

– Mais alors c’est quoi la bonne nouvelle ?

– Ah bah y-en a pas.

– Ah.

– Parce que si c’est la maladie de Crohn…

Il ne riait plus ce qui paniqua Tino.

– Pour tout de dire, moi je l’appelle la maladie de con. Parce que vraiment, niveau saloperie.

– Mais c’est quoi ?

– Bah, on ne sait pas. On ne sait pas ce que c’est, on ne sait pas d’où ça vient et surtout, on ne sait pas la soigner.

Tino sentit une crampe au niveau du ventre.

– Vous plaisantez ?

– Tu sais bien que je ne plaisante que sur les choses sans importance, pour tout le reste, je pourrais remplacer un croque-mort tellement je suis sérieux.

– Mais alors on fait quoi ?

– Ah ben toi, tu me files vingt-trois euros puisque tu as refusé l’abonnement et moi je prends le patient suivant.

– Non mais sérieusement.

Le médecin sourit, de son sourire qui annonçait toujours une connerie.

– Tu vas me donner vingt-trois euros quand même mais en plus, pour le même prix, je t’envoie te faire ramoner le fondement.

La perplexité se lisait sur les traits de Tino. Il se posait deux questions : de quel ramonage parlait-il et ce docteur n’arrêtait donc jamais ses vannes ?

– Je lis en toi comme dans de la chair à saucisse. Tu te demandes de quoi je cause. On va te colloscoper mon garçon.

Une coloscopie ?

– Mais, mais il parait que ça fait horriblement mal.

Le médecin a balayé l’argument :

– Mais tu te crois au moyen âge ? C’est fini le temps où on te carrait une batte de baseball dans le cul, maintenant c’est un tout petit tuyau et avec la tonne de lubrifiant qu’on va te coller, il pourrait te ressortir par les amygdales que tu ne sentirais que dalle.

– Vous êtes sur ?

– C’est qui le docteur ? Non et puis tu dormiras de toute manière.

– Et ça va servir à quoi ?

Le médecin prit un air navré.

– A priori à rien. Cette saloperie de maladie peut se traiter un peu mais ça reste souvent qu’un mieux en attendant un pire. On va juste vérifier le niveau d’inflammation de ton colon. Et peut-être se rendre compte que ce n’est pas Crohn.

Tino sortit de chez le médecin raisonnablement déprimé. Une maladie insoignable ? À trente-deux ans, Tino ne s’imaginait pas vivre le restant de ses jours avec ce mal de ventre. En arrivant chez lui, il se connecta à internet, cherche des témoignages de la maladie de Crohn et ce qu’il lut lui mit le ventre en compote. Tout n’y était que souffrance, souffrance permanente qui oscillait entre le « J’ai mal un peu tout le temps » au « Pendez-moi, pendez-moi par le colon qu’on en finisse ». Tous les symptômes ne se ressemblaient pas mais il ressortait très clairement que :

– La coloscopie est une saloperie.

– La maladie de Crohn est insupportable.

Fort de ces conseils inutiles, Tino se prépara à la coloscopie. Il devait manger des aliments « sans résidus » la semaine avant la coloscopie. Sans résidus ? Qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Il n’en avait aucune idée mais découvrit qu’il fallait préférer les biscottes au froment au pain. Un régime qui t’oblige à bouffer des biscottes au froment plutôt que du pain ne pouvait qu’être réservé aux malades. Il avait même trouvé un site qui donnait « des conseils et des astuces d’habitués des coloscopies » ? Dans quel monde vivait-on ?

Tous ces habitués prévenaient que le plus dur restait d’ingurgiter quatre litres d’une préparation particulière la veille ou le matin de l’examen.

Quatre litres ? La belle affaire. Tino pouvait se cogner ses quatre litres de bière sans y penser et si ses souvenirs de beuveries étaient exacts, son record s’établissait à plus de cinq litres et ça ne lui avait pas demandé la journée, juste la soirée.

Tout irait bien.

Ce que découvrit Tino c’est que boire cinq litres de bière et se taper quatre litres de polyéthylèneglycol était deux choses différentes. Lorsqu’il renfla la préparation, il fut rassuré, cela ne sentait rien.

Lorsqu’il avala la première gorgée, le matin de la coloscopie, il régurgité en braillant :

– Qu’est-ce que c’est que cette merde ?

La composition ne lui apprit rien si ce n’est que cela ressemblait plus à celle d’un liquide de refroidissement de voiture qu’à celle d’un soda. En y réfléchissant, Tino se fit la remarque que les sodas contenaient à peu près autant de saloperies que les liquides pour voiture mais c’était un autre débat, qui n’avait rien à faire là.

À défaut de composition, Tino pouvait en comprendre la teneur : ce truc était poisseux et salé. La pharmacienne lui avait vendu quatre litres d’eau croupie mélangée à cinq cents grammes de sel dans lequel un petit fumier avait ajouté une dizaine de biscottes au froment.

Tino prit une décision définitive : il mourrait de la maladie de Crohn plutôt que de boire ce machin. Cet état d’esprit permanent lui dura une bonne dizaine de minutes avant qu’une douleur aiguë au ventre ne le convainque de reprendre l’ingestion du liquide.

Il était neuf heures du matin lorsque Tino commença à boire. Il serait trop long d’inscrire ici toutes les insultes, malédictions, jurons qu’il proféra intérieurement au cours de ces quatre litres mais qu’il vous suffise de savoir que si la pharmacienne meurt brulée vive dans d’atroces souffrances, il faudra vérifier l’emploi du temps du sieur Tino.

Tino, peu curieux de nature, toujours inquiet de découvrir une mauvaise nouvelle sur internet, ne s’était pas posé la question du pourquoi ? Il pensait naïvement que cette solution permettait à la caméra de mieux voir. Que Tino ait pu imaginer qu’une caméra puisse mieux voir dans un colon tartiné de boue et de biscotte de froment que dans un colon vide en dit long sur son état de stress pré opératoire.

Toujours est-il que vers onze heures, Tino percuta.

Quand la compréhension se fit, Tino se leva, baissa son pantalon et son caleçon sur ses genoux à peu près à l’instant où il décidait de courir vers les toilettes. Le manque de coordination entre la baisse du pantalon et l’accélération le fit trébucher et dans le stress, se soulager, à six mètres de ses toilettes. À vue de nez, si je puis me permettre la formule, Tino venait de projeter deux litres de boue de biscotte tartinée de merde, à part à peu près égale sur le canapé, le mur et le plafond.

L’humiliation le disputa à la colère. Il allait falloir laver, idéalement avant que Nadine de rentre. Il ne voulait pas devoir expliquer pourquoi l’appartement sentait la biscotte à la merde.

Il avait presque fini de nettoyer vers quatorze heures lorsque Nadine rentra avec le petit. Le petit c’était Nathan, le fils de Nadine et Tino.

– Ça va mon chéri ?

– Comme une fleur, j’en suis à trois litres dont deux que j’ai… Je me sens une âme de peintre. Ou d’éboueur, je ne sais plus trop. Bref, tout va bien !

Le ton de Tino, habituellement si calme, indiqua à Nadine que la tension montait, pour le détendre elle demanda à Nathan de chanter la chanson pour papa :

– Les jolies colonies de vacances, merci papa, merci maman.

Tino patienta jusqu’à la fin puis, assez sèchement :

– Je ne comprends pas ?

– Bah maman m’a dit que tu avais colo tout à l’heure alors je te souhaite des bonnes vacances. Une bonne colo quoi.

Si Tino avait été élevé dans l’idée qu’un aller-retour à un enfant ne pouvait pas lui faire de mal, qu’on pouvait bien cogner un gamin sans en faire un drame, c’est une série de gauche droite, jab uppercut que le petit Nathan se serait mangés dans les dents. Au lieu de quoi, Tino dit :

– C’est très gentil mon chéri. C’est une très jolie chanson.

– Merci. Dis, tu me ramèneras des photos de ta colo ?

Tino lança un regard à Nadine qui riait tellement qu’il crut qu’elle allait se pisser dessus ce qui aurait rétabli un petit peu la balance de l’injustice.

– Non mon chéri, je ne pense pas que papa va te ramener une photo de sa colo. Enfin ça dépendra de ton bulletin de notes. S’il est vraiment très mauvais, oui.

Tino le savait, il aurait dû louer une chambre pour la nuit et la journée pré coloscopie. Mais Nadine lui avait promis compréhension, attention et gentillesse. Au temps pour sa naïveté.

Vers quinze heures, l’anus et le colon lustré, il se rendit à la coloscopie.

Le personnel se révéla exempt de tout reproche : Tino fut câliné, dorloté, chouchouté, mis en condition pour que cet examen humiliant se déroule le mieux possible. On le mit en position latérale et l’infirmière qui le poussait sur son lit vers la salle d’opération lui indiqua que c’était une opération de routine, que tout se passerait bien.

Tino n’arrivait pas à concevoir qu’on puisse se préparer à se faire fouiller l’anus par un parfait inconnu dans un état d’esprit serein, détendu mais enfin, s’il y avait la moindre chance que cette maladie de Crohn disparaisse.

Il prit la position, l’anesthésiste lui fit une piqure très rapide et avant de penser que cette journée était bien pourrie, Tino dormait.

Lorsqu’il se réveilla, Tino était entouré d’autres patients. Ils étaient cinq, les uns à côté des autres.

Incroyable : ici on enchainait les coloscopies comme d’autres les mariages.

Tino, visiblement le premier réveillé, mit quelques instants à reprendre pleinement conscience. Ce fut le bruit qui lui remit pied dans la réalité.

– Mais, mais qu’est-ce que…

Quelqu’un venait de péter. C’était une certitude. Oh, encore un.

Mais, mais ça n’arrêtait pas. Les cinq patients à côté de Tino, toujours endormis, s’en donnaient à cul joyeux, pour se libérer des gaz.

Tino devait prendre sur lui pour ne pas lâcher caisse sur caisse. Il comprendrait plus tard pourquoi : boire quatre litres de boues ne suffit pas, le médecin envoie de l’air dans le colon pour décrocher les derniers résidus.

C’est un peu comme pour gonfler ses pneus. D’ailleurs Tino se demanderait longtemps si cela reposait sur le même principe.

Tino trouvait cette situation gênante, humiliante. Il aurait voulu qu’on l’emmène ailleurs, loin de cette, de ce vacarme.

Il fut soulagé lorsque quinze minutes plus tard on le ramena à sa chambre.

Une semaine suivante, il se rendait chez son généraliste. Que ce fut lui qui lui remit les résultats n’était pas pour le rassurer mais enfin, c’était son médecin. Il s’attendait au pire en termes de vanne, mais après tout, quoi de mieux que l’humour pour détendre l’atmosphère.

– Ah ! te voilà toi.

– Bonjour docteur.

– Comment te sens-tu ?

Le rictus sur le visage du médecin était très net.

– Bien.

– Plus léger ?

Le ton était donné.

– On peut dire ça, répondit Tino sur l’air de celui qui n’a pas compris la vanne.

– Je t’avais prévenu. Dire que j’ai des patients qui se font des lavements par plaisir.

Tino n’arrivait pas à se représenter le niveau de perversité nécessaire pour prendre du plaisir à boire ces quatre litres répugnants.

– Ils boivent ça exprès ?

– Mais non idiot, ils se nettoient par le trou de balle.

– Ah.

Tino qui ne s’était jamais fait de lavement trouvait pourtant cela plus naturel.

– En tous cas, je dois te remercier. Tu m’as bien fait marrer.

– Comment ça ?

– Bah, me dis pas que t’es pas au courant ?

– Au courant de quoi ?

Le docteur se mit à rire sous cape, pianota sur son PC puis retourna l’écran vers Tino. :

Tino, les yeux hors des orbites, mit un temps infini à comprendre ce qu’il avait sous les yeux. C’était la salle d’opération. Enfin la salle d’attente. On voyait très nettement les six patients, dont Tino, très reconnaissable. Et l’on entendait un vacarme. Six personnes, dont Tino qui dormait encore, pétaient à tout vent, dans un maelstrom de flatuosité.

– Mais, mais, mais…

– Mais comment c’est arrivé là ?

– Mais oui, mais oui, mais oui.

– Je soupçonne un des infirmiers.

– Mais qui vous l’a envoyé ?

– Envoi anonyme.

– Comme c’est pratique.

– Oui hein ?

– Du coup, j’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Primo, t’as pas la maladie de Crohn. T’as le colon énervé, mais c’est surement parce que tu as une hygiène aussi discutable que tes vêtements. Tu vas arrêter le piment au poivre et dans quelques semaines, il n’y paraitra plus.

– Et la mauvaise nouvelle ?

– Ah non, c’était ça la mauvaise nouvelle.

– Ah bon, mais la bonne alors ?

– T’es premier ténor des polyphonies coloscopiques.

Et le docteur relança la vidéo en se marrant.


Si vous avez aimé cette nouvelle noire, découvrez les autres Nouvelles Noires pour se Rire du Désespoir