Soixantième et unième Nouvelles noires pour se rire du désespoir . J’ai hésité à la sortir. J’adore écrire des nouvelles avec des personnages énervés. Mais ça ne suffit pas. Si l’enjeu se révèle trop faible, la lecture perd de son intérêt. Mais je le vois l’enjeu alors… Aucune idée de ce que vous y trouverez mais il arrive un moment où un texte doit être libéré. Bonne lecture.

Cyclothymique mon cul ! Bipolaire, de la merde ! Je suis maniaco-dépressif et puis c’est tout.

Qu’est-ce qu’ils peuvent me faire chier tous avec leur hypocrisie, leur novlangue, leur blanc qui veut dire noir et leur noir qui t’éblouit !

Et ça prend à une vitesse, comme si les veaux n’attendaient que ça. Comme si les mongoliens qui m’entourent ne vivaient que pour le plaisir de remplacer un mot par son équivalent vide de sens.

D’où est-ce que ça peut venir ?

Le lundi, tous les bobos du coin hurlent à la mort parce qu’on parle de migrants au lieu d’évoquer des réfugiés.

Bien, bonne remarque.

Le mardi suivant, ces mêmes connards t’invitent à une réunion pour organiser l’accueil des migrants. Bordel, où est passé votre cerveau, votre esprit critique ? Comment avez-vous fait pour accepter une lobotomie en une putain de semaine !

Et si tu ouvres ton clairon, avec ou sans tact, t’as le droit à un «  Oui, mais tu sais, ce n’est qu’un mot ». Bordel de merde, ça se paluche devant « 1984 », colle du «  Fuck la novlangue » partout et ne voit aucun problème à utiliser : migrant pour réfugié, quartier pour banlieue pourrie et oubliée, SDF pour clodo.

Avant-hier, un type m’a même évoqué sérieusement le « Plan de Sauvegarde de l’Emploi » qui l’attendait.

Je sentais bien dans son oeil de l’inquiétude, de l’angoisse. L’idée étant que je les partage.

– Ah ! ben c’est cool ça ! Voilà une bonne nouvelle.

Lui, forcément :

– Ah, ben, non, pas trop.

– Mais si enfin. C’est un « Plan de Sauvegarde de l’Emploi », donc je comprends pas. De quoi t’as peur ? Je vois pas là.

L’amusant c’est que c’est le mec qui utilise mort pour dire vivant, qui me toise comme si j’étais un débile léger.

– Ben, non, mais, mais tu sais combien de personnes vont se retrouver à la rue ?

– Ben zéro. C’est un « Plan de Sauvegarde de l’Emploi ».

– Mais t’es con ou tu le fais exprès ?

Ça finit toujours comme ça. Les gens n’aiment pas que tu leur colles leur contradiction dans la gueule, surtout avec le manque de tact qui me caractérise.

– Et toi ? Quelqu’un te paye pour jacter le vocabulaire de tes maitres ? Ce que tu me décris ça s’appelle un plan de licenciement bordel ! Alors pourquoi tu me parles de ton « Plan de Sauvegarde de l’Emploi » ?

En général, ça se finit par «  Tu exagères tout  ». Ce qui m’a valu de perdre un à un tous mes amis.

Forcément, tous les amis traversent des moments compliqués dans leur vie, et ils n’ont pas envie, à ce moment-là en particulier, qu’un connard supérieur leur explique que « Non, tu ne peux pas parler de gérer une relation avec Sylvie. On ne gère pas ses sentiments. » et encore moins de « Tu vois où il t’a mené ton PSE  ? ».

Je le sais pourtant que je n’aide personne, que je suis inaudible mais je ne peux pas m’empêcher. Plus fort que moi.

Pendant ce temps-là, je m’enfonce dans ma maniaco-dépression.

S’y enliser tandis qu’on perd toutes ses connaissances, ça fleure bon le cercle vicieux de première classe.

Ma femme m’a quitté après des années à supporter mes sautes d’humeur.

Je n’ai même pas cherché à la retenir.

Elle n’en pouvait plus de côtoyer le nouveau maitre du monde de huit heures à midi, de manger avec la plus grosse merde de la planète et de diner avec Sa Majesté Impériale Napoléon IV, pour finir par aller au lit avec Minus Premier. Il parait que les complexes de supériorité et infériorité sont toujours mélangés, imbriqués. Mais dans mon cas, ça frise la schizophrénie.

Que je n’ai même pas, sinon encore, je pourrais aller me faire soigner dans un hôpital psychiatrique. Ce serait pas mal ça. Le repos, plus aucune responsabilité. Mais non. Parce qu’un instant, je peux carrément révolutionner l’aviation et trois heures plus tard, je ne me juge pas digne de nettoyer les chiottes d’un aéroport.

C’est fatigant pour les autres, mais, je vous assure, c’est épuisant pour moi.

Surtout que les gens, et je les comprends, ont assez peu d’empathie pour un type qui change du tout au tout en deux heures. Vous passez pour un lunatique, un malpoli. Je ne suis PAS lunatique, je suis maniaco-dépressif !

Du coup, j’ai eu l’idée la plus conne du siècle  : en faire un one man show.

Je vous jure. Sur les moments où je suis un demi-dieu capable de tout, j’ai harcelé, il n’y a pas d’autre mot, les responsables de salles de Paris. Surtout par email. L’email possède cet énorme avantage que si tu baignes au fond du trou, tu peux attendre un peu pour répondre. Téléphone ou visuel, c’est plus compliqué. Surtout lorsque tu te balades avec les épaules voutées, la tête baissée en regardant tes pieds comme un misérable.

Bref, j’ai réussi à les convaincre – après essai bien sûr, mais positionné à des périodes où je savais qu’en général, je me balade en mode musclor.

Et le spectacle a démarré. Un mardi, je m’en souviens. Je tenais une forme terrible. J’ai été drôle, mais drôle. Un festival d’humour, de vannes, de saillies hilarantes. La salle, essentiellement composée de famille et de potes, se montra enthousiaste. Le lendemain, premier public d’inconnus. Un jour sans. Enfin, les jours sans pour moi consistent à me vautrer dans la dépression la plus noire. J’ai livré le spectacle le plus désespérant qui soit. Vraiment. Les gens venaient pour se marrer et je leur en mettais plein la gueule de désolation. À tel point qu’un type est venu me voir après :

– C’est tellement triste qu’on dirait que vous nous en voulez personnellement !

Je lui ai hurlé que :

– Mais non connard, c’est pas après toi que j’en ai, c’est après moi. Ça ne se voit pas !

Le connard n’a pas apprécié et comme quelqu’un filmait la scène, je me suis retrouvé sur YouTube en deux secondes.

Alors les connards se sont mis à affluer, de plus en plus nombreux.

Il y avait une sorte de risque à assister à mon spectacle : drôle ou sinistre, soporifique ou génial.

J’ai fait salle comble pendant des semaines, jusqu’à ce que la source se tarisse.

Jusqu’à ce que je redevienne juste un pauvre type avec des hauts et des bas.

Là, par exemple, j’évolue dans un gros gros bas, un des pires de ma vie, ce qui n’est pas peu dire. Je suis tout en haut d’un immeuble et je regarde tout en bas. Je suis presque sûr que je ne vais pas sauter. Pourtant, je n’ai aucune envie de retourner en bas. Plus d’amis, une famille rétrécie, une fatigue grandissante.

J’ai tout essayé pourtant : yoga, thérapie, méditation, footing, régime végétarien, enfin tout ce qui est censé t’apporter un peu d’équilibre. Tout ce qui permet d’éviter un peu ce système de montagne russe.

Et alors que je suis en haut à regarder en bas, une idée me vient. Une idée géniale.

Pour la mener à bien, il faut que j’aille en bas.

Par l’ascenseur.

Alors je descends.

Par l’ascenseur.

Enfin je crois.

Et le prochain qui me donne du cyclothymique, je lui pète la gueule à coup de batte de baseball. Maniaco-dépressif putain !


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Valery

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Valery

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