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Automne | Thierry Crouzet

Je suis particulièrement content que Thierry Crouzet démarre “Automne“, cette série d’interviews autour des romans, de la création, de la sérendipité. Vous le connaissez surement pour son livre “J’ai débranché” dans lequel il racontait son burn-out numérique. Et vous ne le connaissez probablement pas pour tout le reste. Ses articles énervés, ses essais, son honneteté intellectuelle, ses romans, son ouverture d’esprit et son Eratosthène, superbe livre dont il reparle ici. Bref, je le salue et le remercie.

Thierry Crouzet, tu écris quoi ?

Ça serait simple de répondre « Ce qui me passe par la tête. » C’est un peu ça, j’écris pour m’ouvrir les yeux, pour mieux voir. Je ne m’interdis rien, aucun genre, aucun mélange des genres, aucune forme. Ça m’entraîne parfois un peu loin. Là, précisément, je viens de boucler Résistants, qui pour moi a été un sacré exercice de style puisque j’ai tenté d’adopter les codes du best-seller pour sensibiliser les lecteurs au problème de la résistance des bactéries aux antibiotiques, et j’ai toutes les chances de me casser la figure. C’est les lecteurs qui décideront si mon roman est un best-seller ou non. Finalement, parfois, je suis très loin du « Ce qui me passe par la tête. »

Une influence ?

Ça serait affreux si j’avais une influence, j’ai des milliers d’influenceurs, parfois ceux que je déteste m’influencent plus que ceux que j’admire.

Éditeur ou auto-édité ?

Pour être précis, tu aurais dû me demander « Édité ou auto-publié ? » Je suis une sorte de médecin qui exerce dans le privé, qui se fait éditer, et aussi en libéral, qui s’auto-publie. Aujourd’hui tout le monde s’auto-publie : Twitter, Facebook, les blogs… On ne va pas demander à un éditeur d’investir sur chacune de nos phrases. Donc nécessairement beaucoup de mes textes ne sont pas édités : je les écris et les publie moi-même, que ce soit sur mon blog ou en livre.

Mais quand un éditeur s’intéresse à un de mes projets, je pars avec lui, parce que le travail d’équipe me pousse souvent à être plus exigeant avec moi-même. J’ai aussi cet espoir de toucher un nouveau public. Bien sûr, je touche un chèque au passage, ce n’est pas négligeable. Il n’est plus question pour moi d’aller avec un éditeur sans ce chèque, parce justement je vais avec lui parce qu’il est censé avoir les moyens que seul je n’ai pas. Si pas d’argent, je préfère m’auto-publier plutôt que céder mes droits pour rien. L’auto-publication, c’est l’édition sans les moyens de l’édition.

Enfin, et c’est pas négligeable, publier de temps un temps un livre chez un éditeur de taille nationale, c’est comme prendre ma carte du parti des auteurs. En France, au regard de la critique, des institutions, et même des lecteurs, on n’existe pas encore en tant qu’auteur si on reste un pure-player.

Résistants ?

Je n’avais pas lu tes questions avant d’évoquer plus haut ce roman. Ça fait plus d’un an que je suis sur ce projet qui parfois me fait penser que je me heurte à mon seuil d’incompétence. Le livre sortira en français et en anglais en même temps. Bragelonne a beaucoup d’espoirs, aussi les médecins qui m’ont incité à me lancer. Maintenant que le gros du travail est terminé, je flippe, je me dis que j’ai lamentablement foiré. Aussi quelle idée de vouloir écrire un best-seller avec un contenu scientifique conséquent, sans parler des implications politiques. J’ai essayé de résoudre une équation quasi insoluble.

Le roman et le lecteur de romans vont disparaître pense Philip Roth. Un avis ?

Un jour oui, sans doute, mais quand ? Si on regarde les chiffres de vente, les romans s’en tirent très bien pour le moment, malgré le Net, Youtube, les jeux vidéo… Mais si demain on invente des systèmes télépathiques immersifs, c’est sûr qu’il ne restera plus beaucoup de place pour le roman comme nous le connaissons, mais il faudra toujours écrire des histoires, parce que nous ne pouvons pas vivre toutes les vies en une vie alors que les histoires nous le permettent.

Perso, je ne suis pas particulièrement attaché à la forme romanesque. C’est une forme en bout de course, il est très difficile de la secouer sur ses fondements. L’année dernière, j’ai écrire One Minute, c’était un grand pari formel, trois cents lecteurs m’ont suivi tout au long de cette aventure, mais les éditeurs ont presque tous déclaré que ce n’était pas un roman parce que j’en avais cassé la forme. Il n’y a plus beaucoup d’attente du côté du roman, sinon qu’il soit un produit (j’ai tenté de faire de Résistants seulement un produit, c’était mon jeu d’écriture, ma contrainte).

Est-ce raisonnable, souhaitable de vouloir vivre de ses écrits ?

L’important, c’est de vivre la vie qu’on veut vivre. Je n’ai jamais attendu que mes textes me rapportent de l’argent pour vivre comme je le voulais, c’est à dire avec la liberté de faire ce que je voulais quand je voulais. J’ai très vite découvert qu’en écrivant je voyais mieux le monde, le respirais mieux, donc que je devais écrire pour être heureux… tout en fuyant le monde hiérarchique des entreprises. Alors j’ai bricolé pour maximiser mon temps libre et avoir tout le temps d’écrire.

Bien sûr, quand j’avais trente ans, je rêvais de gagner ma vie avec mes livres. C’est important de rêver, mais je n’ai pas renoncé à écrire parce que je ne gagnais pas d’argent, écrire était plus important, et surtout écrire ce dont j’avais envie. Je n’ai pas cherché à écrire un Résistants à trente ans. Aujourd’hui je peux le faire, parce que même si j’en vendais beaucoup, ça ne changerait rien à ma vie.

À mon avis, on peut espérer gagner sa vie avec ses textes, mais il ne faut pas écrire pour ça, sinon c’est risquer de beaucoup souffrir. Il y a moins de place comme écrivains professionnels que comme joueurs de foot professionnels. La réalité : la plupart des écrivains professionnels ne vivent pas de leurs livres mais de leurs interventions dans les établissements publics. Ils sont subventionnés.

Pour te découvrir, tu conseilles quoi ?

Ératosthène, c’est sans doute un roman difficile mais celui où j’ai tout mis.

100 raisons de ne pas voter ? Pour 2017, tu confirmes ?

Malheureusment oui. Je trouve anti-démocratique que nous ne puissions pas exprimer notre rejet de tous les candidats autrement qu’en ne votant pas.

Tu as quitté les réseaux sociaux, tu y es revenu et tu sembles les avoir quitté à nouveau. Et après ?

Je n’ai pas vraiment quitté, j’y suis très discret, tout ce qui s’y passe me dégoûte, nous cherchons à y crier tous plus fort les uns que les autres, c’est assez déprimant.

Après, j’en sais rien. Le Web ne m’inspire plus beaucoup. J’ai l’impression que notre rêve a été saccagé, récupéré, marchandisé. Je n’y trouve plus guère de liberté, sinon à rester bien sagement sur mon blog, chez moi, en gardant la porte largement ouverte. Ça, j’y tiens. J’espère que les gens redécouvriront vite que l’authenticité des voix indépendantes est plus vitale que les vociférations entretenues par les grands médias, Google et Facebook en tête, qui ont pour seul objectif de maximiser leurs bénéfices, et non notre liberté.

Un livre inconnu à nous faire découvrir ?

Pas un livre, une revue, La piscine, une belle initiative.

Un.e auteur.e inconnu.e à nous faire découvrir ?

Daniel Bourrion, mais si je le connais, c’est qu’il n’est pas inconnu. J’aime sa discrétion et sa minutie.

Une question qu’on ne t’a jamais posée ?

Est-ce que je me sens seul ? Oui, intellectuellement, c’est pas toujours simple de vivre tendu vers demain dans un monde qui se tourne de plus en plus vers le passé.

Cette série d’interviews repose sur la sérendipité. J’interviewe qui après ? Tu peux mettre deux ou trois personnes.

Les protagonistes de La piscine, Daniel Bourrion et Neil Jomunsi, qui se bat comme un beau diable pour exister comme auteur libre.

La semaine prochaine ce sera donc Neil Jomunsi que j’avais déjà choisi d’interviewer avant que Thierry ne me le recommande. La sérendipité prend son élan…  Rendez-vous mardi prochain

Valery

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Valery

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