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#payetonauteur 3 euros 70 de l’heure pour 1000 livres vendus

Alors que tourne en ce moment #payetonauteur pour dénoncer les conditions exécrables dont “bénéficient” les auteurs, rarement payés lorsqu’ils interviennent ici ou là, je me suis dit que ce serait pas mal de compter le nombre d’heures passées sur un livre. Je prends donc le cas du recueil des Refaits divers coécrit avec mon camarade Antony Foret : 21 nouvelles inventées à partir de titres de faits divers et de titres uniquement. Sans rien savoir d’autre. Le prix ? 3.99€ en ebook et 14€ en papier. Mais parlons de l’ebook. Car certain.e.s trouveront ça trop cher. Alors regardons un peu. 

Combien d’heures pour écrire un livre ?

Je sais que l’offre et la demande conditionnent le prix d’un objet, qu’il soit culturel ou non. Mais je sais aussi que dans un monde où il sort 700 livres chaque mois en France chez les éditeurs et des milliers en autoédition, ce marché est un marché de l’offre. La demande est ras la gueule. Mais les livres continuent à sortir. Auteur, privilégié ou feignasse ou les deux ? Je n’ai pas la prétention de répondre pour toute la profession, mais je me suis amusé à calculer mon salaire horaire possible.

Fixer le concept et le planning

Je vous épargne les heures de discussions autour d’une pinte pour fixer le concept. Mais une fois établi ce concept GENIAL, il faut trouver des titres de faits divers. Alors je suis allé sur des sites comme A Juste Titre parcourir des centaines et des centaines de titres. Noter ceux qui pourraient convenir, concevoir un petit excel pour s’y retrouver, démarrer le planning d’écriture. Une petite dizaine d’heures. Et oui, il y a quoi devenir fou lorsque tu passes des heures à parcourir des titres comme “Fan de la série Dexter, elle tue son père” ou Elle verse du sang menstruel dans le café de son patron pour le rendre plus aimable

Temps: 10 heures 

Ecriture d’une nouvelle

Combien de temps pour écrire une nouvelle ? Il faudrait s’entendre sur la définition. Le premier jet, c’est souvent très rapide chez moi, comme chez beaucoup d’ailleurs. Et comme chez les gens qui écrivent vite un premier jet, il faut retravailler énormément. Mais disons, entre les nouvelles courtes comme “Elle offre son rein à sa patronne et se fait virer” ou les plus longues comme “Dévalisé à Moscou, un russe marche 9000 km pour rentrer chez lui“, quatre heures d’écriture. J’ai écrit ou contribué à 12 nouvelles dans le recueil.

Temps: 48 heures 

Réécriture

Là, ça se complique. La réécriture peut-être un processus sans fin. Réécrire tout de suite après avoir écrit, ou alors attendre quelques semaines ou mois. Ou encore réécrire plusieurs fois. Dans mon cas, généralement, je réécris tout de suite, je laisse reposer, et je réécris quelques semaines plus tard. A chaque fois, cela me demande une heure trente, en gros. Donc trois heures de plus par nouvelle (grand minimum).

Temps: 36 heures 

Relecture

Je ne compte pas les relectures qui font partie de la réécriture mais vraiment la phase de relecture pure. Je relisais chaque nouvelle qu’Antony m’envoyait et réciproquement. Ensuite j’ai relu, avec attention, chaque nouvelle trois à quatre fois, plus les nouvelles d’Antony une fois. Une relecture attentionnée c’est 30 à 60 minutes. Minimum. A traquer les fautes, répétitions, maladresses sur Antidote. Pour mes 12 nouvelles, allez, je ne compte même pas le temps passé à relire et annoter celle d’Antony, deux heures par nouvelle.

Temps : 24 heures 

Conception couverture

Je ne suis pas graphiste et comme beaucoup, lorsque je ne passe pas par un éditeur, j’utilise Canva. Si l’outil simplifie la vie, il ne remplace pas la créativité. J’ai passé des heures et des heures à chercher des idées de couvertures, faire des tests, les proposer à mon camarade, aller-retour, et encore.

Temps: 12 heures 

Mise en page

Je vous l’avoue, pour la mise en page, on ne cherche pas à être les plus originaux mais il faut que ce soit propre et que ça donne envie de lire. Choix de la police, taille des titres, des sous-titres. Et là aussi, ça prend du temps. Et du temps bien chiant. Et après il faut tester, mettre en conformité avec une plateforme qui a décidé de ne pas respecter les règles etc.

Temps: 12 heures 

Dernière Relecture

Ensuite tu commandes l’exemplaire papier ou tu télécharges l’ebook et tu relis une dernière fois.

Temps: 4 heures. 

Promotion

Je parle du minimum ici, créer quelques visuels, l’événement Facebook, une affiche par-ci, par-là, une bannière Twitter. Le minimum.

Temps: 4 heures. 

Ce qui nous donne ? 10 plus 48 plus 36 plus 24 plus 12 plus 12 plus 4 plus 4, soit 150 heures. Bon, cool. C’est beaucoup et pas beaucoup. Un mois de travail à temps plein pour douze nouvelles. Ah oui, parce que comme on l’a écrit à deux, même si j’ai géré l’intendance (c’était prévu comme ça et ça s’est superbement bien passé), mon camarade a écrit, relu autant de nouvelles que moi, soit 48 plus 36 plus 24 et des heures aussi à ajuster ici ou là, bref encore un petit coup 120 heures.

Soit un grand total de 270 heures. Bim. Et encore, on ne vous compte pas les nouvelles non publiées. Un peu comme si un ébéniste n’incluait pas le prix du bois qu’il a gâché en tentant des trucs. C’est pourtant en gâchant, essayant qu’on y arrive mais bon.

Temps total: 270 heures. 

Prix de vente: 4€.  

Et là vous me dites 4€, c’est cher pour un ebook. Attendez un peu.

4 euros TTC !

Soit 3.79€ Hors taxe.

Et il nous restera après la part d’Amazon ou Kobo 2.56€ (lorsque je suis avec un éditeur, il me reverse en général 25% du prix HT, soit ici 94 centimes hein).

Voilà.

Alors ça donne quoi niveau salaire horaire me demandez-vous ? Ça dépend ! Où étiez-vous pendant les cours de math ? Ah oui, c’est vrai que ceux qui ne servent à rien considèrent que ça ne sert à rien. Donc ça dépend du nombre d’exemplaires qu’on va en vendre. Forcément.

Salaire horaire auteur en fonction du nombre d’exemplaires vendus

50– le four total, tout le monde se branle du livre et les parents et les potes font l’effort mais “C’EST LA DERNIERE FOIS”. On collecte 128 euros. Soit un salaire horaire de 19 CENTIMES d’euro.

100 – On double la mise, quelques fans, la famille s’agrandit, salaire horaire de 38 centimes.

Mais bon, à ce niveau là, c’est de l’amateurisme alors quoi. Augmentons un peu.

500 – On approche des chiffres classique de l’édition traditionnelle (pour un échec j’entends mais tout de même) et le salaire horaire bondit à 1 euro 90.

Et voilà. On dépassera peut-être mais c’est peu probable.

Mais admettons qu’on arrive à 1000 exemplaires, qui est à peu près le chiffre moyen d’un livre édité ? Alors on se payerait grassement un bon 3.70€ de l’heure. Confort non ?

Et sans compter toutes les heures de promotion supplémentaires pour atteindre ce chiffre. A 2 500, on colle au SMIC. En gros.

Alors que le #Payetonauteur insiste sur le traitement misérable des auteurs jamais payés, et si tu trouves que 4 euros c’est cher, ma réponse est “Si tu n’as pas de thune, envoie moi un mail et je te filerai le fichier – pas besoin de se justifier, je suis pas Paul emploi”. Et si tu n’es pas dans cette catégorie, ce que je te souhaite – j’espère que ce petit décompte t’aura un peu ouvert les yeux sur la réalité. Et si nous le fixons à 4 euros ce n’est pas dans l’espoir de devenir riche, ce décompte prouve que c’est impossible. Non, mais ça nous parait le juste prix pour un livre sommes toutes assez unique. Que vous ne pourrez lire nulle part ailleurs. Alors merde, pas de raison de s’excuser en le bradant à 99 centimes. C’est de la bonne came et c’est tout.

Sur ce, je vous souhaite un bien bon dimanche et je vous donne rendez-vous le 8 mars pour la sortie de ce livre qui fera de nous des millionnaires en émotions, souvenirs et éclats de rire. 

PS: bien sûr le chiffre peut varier énormément. On peut passer beaucoup plus de temps à écrire, ou moins, obtenir une avance. Mais ils offrent une bonne base de discussion. Vous pouvez aussi prendre des livres papier, vendu plus cher, mais comme le pourcentage baisse (un éditeur tradi te filera 5 à 12% au lieu de 25%), ça revient à peu près au même.

PPS: pour “Mon collègue est un robot“, papier, édité chez Gallimard/Alternatives, le tirage initial était de 3000 exemplaires. Si on dépasse, on peut considérer qu’il y a succès. A 3000 exemplaires donc, un livre qui m’a demandé, facilement 600 heures, mon salaire horaire montait à 6.8 euros ! Je précise que je ne me plains pas, j’ai signé en connaissance de cause et je ne regrette rien, j’ai bossé avec une équipe géniale, le livre est beau et tout. Je rappelle juste une réalité.

Valery

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Valery

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