Neuvième nouvelle noire de la saison 5. L’histoire d’Hippolyte Brémon qui cherche du travail. Entre lui et la fin du chômage ? Un extrait de casier judiciaire vierge…

Casier Judiciaire, la 84e nouvelle noire pour se rire du désespoir est en ligne.

La version audio est disponible sur Youtube, Soundcloud mais aussi sur Spotify ou iTunes.

Rendez-vous le 22 mai pour la prochaine nouvelle.

– Vous comprenez bien que pour cet emploi, j’ai besoin d’un extrait de casier judiciaire vierge.

– Bien sûr, répondit Hippolyte qui ne comprenait pas. Il postulait comme « Ingénieur support senior niveau 2 » dans un data center d’IBM. Une description bien compliquée pour désigner un passe-plat qui devait prendre les appels de ses collègues du niveau 1 et tenter de les refourguer le plus subtilement possible aux soi-disant cadors du niveau 3.

Mais, dès que vous aviez accès à un data center, que ce soit pour y nettoyer les chiottes ou pour y couper tout le courant, il fallait montrer patte blanche. La peur qu’un camé ou pire, un joueur, n’infiltre ces données vitales inquiétait plus que de raison ces grosses entreprises.

Hippolyte n’avait rien à cacher alors va pour le casier. Peu probable qu’il porte trace de cette biture carabinée durant laquelle il avait braillé au flic qui les contrôlait qu’il aurait mieux fait de contrôler le cul de sa bonne femme. Une vanne aussi lourde que malvenue qui lui avait coûté huit heures de cellule de dégrisement. Ça les valait bien, souriait-il quinze ans plus tard.

Le casier représentait l’ultime rempart entre lui et cet emploi dont il avait désespérément besoin. Il approchait des deux ans de chômage et la fin de droit se profilait dangereusement. Toutes ses tentatives pour obtenir un poste plus dans ses cordes ou, disons ses attentes avaient échoué. Ce boulot constituait, sinon sa dernière chance, du moins une bouée qu’il ne pouvait négliger.

Il avait commandé une copie pour lui, qu’il devait déposer chez IBM dès qu’il la recevrait. Quatre jours passèrent avant que le sésame n’arrive. Hippolyte saisit l’enveloppe et partit pour le siège d’IBM où il devait remettre la fameuse preuve.

Sur le chemin, il décacheta le pli et le parcourut. Ce papier était un des plus inutiles du 21e siècle. L’état, enfin le ministère de la Justice, t’adressait un extrait de casier, a priori vide, attestation de ta virginité. Hippolyte souriait en contemplant le sien jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il tenait trois pages en main. Pourquoi trois ? C’était déjà ridicule d’envoyer une feuille blanche, mais trois. Grotesque. Sauf qu’elles n’étaient pas blanches. Au contraire. Elles étaient noircies de mots. Hippolyte ne parvenait pas à lire, incapable de s’expliquer ce qui lui arrivait.

Il releva la tête dans le métro, pour vérifier que personne ne l’observait. Mais la foule anonyme faisait ce qu’elle savait le mieux faire : ignorer les autres. Il replongea dans le papier, s’efforçant de le déchiffrer :

– Tentative de viol au premier degré, 12 juillet 1995

Tentative de viol ? Au premier degré ? Qu’est-ce que c’était que cette connerie ? Sur qui ?

– Coups et blessures, 5 septembre 1996

Il s’était déjà battu, plus souvent qu’à son tour lorsqu’il était jeune, mais sans que ça n’aille jamais très loin. Des bastons de pochtrons, rien de plus.

– Tentative de meurtre par armes de catégorie 4, 5 février 1997

Hippolyte vérifia le nom sur le papier. Pas de place au doute : « Hippolyte Brémont ». Aussi incroyable que cela paraisse, il avait un homonyme peu fréquentable !

Il redressa la tête, rassuré. Il lui faudrait attendre trois jours pour obtenir le bon extrait. Rien de dramatique.

Il reprit la lecture du casier : un festival. Les tentatives se transformaient en essai avec l’âge. Viol, meurtre, extorsions. La dernière exaction de l’autre Hippolyte remontait à un an :

– Coups et blessures avec intention de donner la mort.

Qu’est-ce qu’il faisait dehors ce mariole ? Était-il libre d’ailleurs ?

Hippolyte fit demi-tour et continua à parcourir le papier. La date de naissance « 16 mars 1978 » qui correspondait à la sienne le fit transpirer. Ça commençait à faire beaucoup. Même âge, même nom et même adresse.

À peine arrivé chez lui, il appela « le casier judiciaire national » de Nantes, seule entité habilitée à délivrer les précieux extraits.

– Bonjour, Émilie à votre service, que puis-je pour vous ?

– Bonjour, je viens de recevoir un extrait de casier et, et ce n’est pas le mien.

– Quel numéro l’extrait ?

– Le 2.

– Je vous passe le département adéquat.

Pendant que la sonnerie d’attente entamait son irritante mélopée, Hippolyte apprécia la rapidité avec laquelle elle s’était débarrassée de lui. S’il pouvait en faire autant dans son prochain boulot, ce serait une sinécure. Mais pour obtenir la sinécure, d’abord le document correct.

– Émilie bonjour, que puis-je pour vous ?

–Ah ! Vous vous appelez Émilie aussi ?

Sa remarque alliant ridicule et absurde tomba à plat. Il reprit :

– Voilà, vous m’avez envoyé un extrait qui n’est pas le bon.

– Nom, prénom, date de naissance

– Brémon, Hippolyte, 16 mars 1978

– Votre numéro de sécurité sociale ?

Hippolyte le donna et répondit encore à quelques questions censées confirmer son identité.

– Vous avez reçu un document aujourd’hui, où est le problème ?

– Le problème ? Mon casier est vierge et celui que vous m’avez fait parvenir semble appartenir à un croisement de Mesrine, Landru et Marc Dutroux.

Il se demanda s’il n’avait pas abusé sur les comparaisons.

– Effectivement monsieur, vous avez un passé… chargé. Mais je ne vois pas bien ce que nous pouvons y faire.

– Non, vous ne comprenez pas : ce n’est pas mon casier. Je n’ai jamais tué, violé ou agressé qui que ce soit. Il y a erreur. Un homonyme sûrement.

– Sûrement.

Hippolyte saisit bien, au ton d’Émilie, qu’il n’était pas le premier à appeler. Qu’elle devait être harcelée par des condamnés exigeant la disparition d’une ligne gênante. Mais il ne pouvait pas laisser tomber.

– Écoutez madame, j’imagine que ça doit vous arriver souvent. Je vous assure que ce n’est pas moi. Je cherche du travail et j’ai besoin de cet extrait. Je ne suis ni un meurtrier ni un violeur. Et j’apprécierais que cette erreur soit réparée.

– Une erreur ? Vraiment. Vous êtes bien Hippolyte Brémon…

Et elle reprit l’énumération : adresse, âge, etc.

– Oui.

– Alors tout est correct.

– Non tout n’est pas correct. Tout est faux. Il doit bien y avoir un moyen de le prouver. Les informations viennent de quelque part. Remontez à la source et vous trouverez votre bévue.

– Sûrement. Je vais faire une recherche.

Le ton qu’elle avait employé ne le rassurait pas le moins du monde. La musique d’attente, toujours insupportable, résonna pendant ce qui sembla une éternité à Hippolyte.

– Monsieur Bremon ?

– Oui.

La voix portait moins de traces d’arrogance. Un bon signe, songea Hippolyte.

– Il se peut, je dis bien il se peut qu’une erreur se soit glissée dans un de nos fichiers.

– À la bonne heure !

La patience, la politesse finissaient toujours par triompher. Il n’y avait jamais aucune raison de s’énerver.

– Votre condamnation pour mise en danger de la vie d’autrui du 30 septembre 1996 aurait dû être supprimée, car il y a prescription. Pour le reste, tout est conforme.

– Tout est conforme, espèce de grosse pute ? Tu te fous de ma gueule ! Je ne suis pas cet Hippolyte de mes couilles ! En quelle langue faut-il te le dire pour que ça rentre dans la graisse de tes oreilles de truies ?

Pourquoi supposer que la femme était grosse, et pourquoi l’attaquer sur son physique ? Voilà qui était doublement décevant de la part d’Hippolyte. Et pourquoi cet énervement soudain, lui qui gardait généralement son calme.

La peur, il n’y a que la peur pour rendre aussi abruti. Il commençait à craindre que ce ne soit pas une farce. Que son casier soit bien barbouillé de mentions toutes plus innommables les unes que les autres. Il ne trouverait plus jamais de travail. Il finirait clochard, comme cet Arabe au coin de la banque. Pour survivre, il agresserait les gens, les tuerait peut-être et… et jamais il ne violerait qui que ce soit. Ce casier ne tenait pas debout. Ce n’était pas le sien, il n’était pas fou !

– Je ne dis pas que vous êtes fou monsieur, je note qu’il y a, dans la longue liste de vos condamnations, une pour évasion d’un centre de de traitement psychiatrique, il faut peut-être chercher de ce côté-là.

Pourquoi lui parlait-elle encore si poliment ? Il venait de l’insulter et elle gardait un calme olympien.

– Merci madame. Je, je vais les contacter. Ils auront bien une photo de Brémon qui prouvera que ce n’est pas moi.

– Oui enfin, je serais vous, je ferais attention…

Mais Hippolyte avait déjà raccroché. Saint-Jacques, comme c’était original. Son homonyme s’était échappé de Saint-Jacques. Il passa quelques coups de fil, réussit à obtenir le bon service :

– Madame, je suis victime d’une méprise incroyable. Je m’appelle Hippolyte Brémon. On me confond avec un autre qui s’est évadé de chez vous.

– Bien sûr. D’où m’appelez-vous ?

– De chez moi, pourquoi ?

– Je voulais dire, de quelle adresse ?

– 5 rue du pas de la mule. Pourquoi ?

– Pour rien ? Alors, de quoi souhaitez-vous discuter ?

Hippolyte n’écoutait plus, il pensait : s’il était schizophrène, s’en rendrait-il compte ? Cette question seule avait de quoi rendre fou n’importe qui.

– Monsieur, je ne vous entends plus, vous me disiez ?

Après tout, il y avait bien des trous dans son CV. Censés correspondre à des périodes de chômage, mais avec les barges, allez savoir. Et puis s’il était bien cet Hippolyte-là, il était dangereux, pour les autres, pour sa famille.

– Vous pourriez m’envoyer une photo du malade ? Ça permettrait de lever les doutes.

Oui, voilà. Il lui suffisait de se faire arrêter, d’attendre l’identification et soit il était cet Hippolyte, et il paierait. Soit, il était bien lui et la vérité éclaterait au grand jour. Simple. Clair. Oui, mais s’il était bien l’évadé…

***

– Écoute, il a disparu.

– Complètement ?

– C’est devenu Rambo, le mec. Introuvable. Ou alors il est cané, c’est le plus vraisemblable. C’est quand même tendu comme test de recrutement.

– Ouais, mais avec sept millions de chômeurs, on fait un peu ce qu’on veut non ?


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Crédit photo : Unsplash, Rozan Naufal

Valery

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Valery

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