Et voici la soixante-huitième des Nouvelles noires pour se rire du désespoir et neuvième de la saison 4 !

Avec deux nouveautés : j’ai modifié les visuels, j’en avais marre de cette police. Et surtout, je change la partie promo. Parce que tout ça me saoule, mais que j’aime raconter des histoires, partager des livres, films ou tableaux, je vais m’occuper de la promo sous forme de collection d’œuvres en rapport avec la nouvelle. Rapport direct ou indirect. A suivre, si ça vous dit, sur Twitter, Facebook, Instagram et peut-être Youtube.

En attendant, bienvenue dans un monde délirant, un monde où la taille des gens dépend de leur confiance en eux. 

Adrien mesurait un mètre cinquante et il continuait de rapetisser malgré l’enjeu. Lorsqu’il sortit de son immeuble, il attendit que la rue soit déserte pour s’engouffrer dans une bouche de métro. Réalisant, dès qu’il pénétra dans la station, qu’il y croiserait trop de monde. De fait, son wagon, sans être bondé, abritait une bonne trentaine de personnes. À vue d’œil, quelques-uns lui rendaient bien deux ou trois centimètres, mais il se cogna dans un géant qui frôlait le mètre quatre-vingt-dix. Le goliath le toisa et Adrien perdit un centimètre dans l’opération. Il scruta la rame pour débusquer un individu plus petit que lui et s’approcha naturellement du vieux monsieur d’un mètre trente. Il le regarda avec une fausse commisération, mais l’ancêtre, habitué à se faire moquer n’était pas d’humeur et se redressant :

— Ça va bien, je sais ce que vous cherchez. Ça ne prend pas, pas aujourd’hui. Il y en a marre.

De surprise, Adrien recula, rougit et aurait voulu se cacher de honte. La disparition d’un centimètre supplémentaire l’y aurait aidé. Il descendit du métro trois stations plus loin et sa taille devait taquiner le mètre quarante-cinq. La situation virait au dramatique. Adrien songeait à annuler son rendez-vous lorsqu’il croisa un ancien collègue. Un collègue qu’il n’avait pas vu depuis trois ans.

— Frédéric, Frédéric, cria-t-il.

Ledit Frédéric feignit de ne pas entendre et continua sa route, indifférent. L’occasion était trop belle et Adrien accéléra pour se mettre à son niveau :

— Salut, Frédéric, tu vas bien ?

— Ah, salut Adrien, ça va merci.

— Tu as perdu du poids, non ?

La méchanceté de la question heurta les deux hommes. Lorsqu’Adrien travaillait avec Frédéric, ce dernier mesurait plus d’un mètre quatre-vingt. Un vrai confit d’arrogance. Il devait peser dans les quatre-vingts kilos. Or, Adrien l’avait à peine reconnu maintenant qu’il atteignait péniblement un mètre au garrot pour cinquante kilos. Si Frédéric affichait trente kilos de moins, il n’en était pas moins devenu obèse.

— Très amusant, grimaça Frédéric.

Adrien continuait à marcher à ses côtés. De le voir, lui, ce grand con méprisant, réduit à l’état de nain humilié était un plaisir dont il ne pouvait se passer aujourd’hui. Lorsqu’il le quitta, après avoir lancé deux ou trois piques supplémentaires, il devait mesurer un peu plus d’un mètre cinquante.

Tout redevenait possible, songea Adrien. Pour lui et pour Hélène. Cela n’empêcha pas la lassitude de s’emparer de lui. Pourquoi fallait-il toujours se battre ? Cela faisait maintenant plus de vingt ans qu’Adrien luttait quotidiennement. Il était parvenu à sa taille adulte vers dix-huit ans. Dix-huit années de bonheur, rétrospectivement, sans angoisse, sans se demander combien il toiserait le lendemain. Mais depuis qu’il avait atteint, comme tous les humains, son mètre soixante-quinze, jamais, pas une seule journée, il n’avait mesurée plus. Il oscillait régulièrement entre un mètre cinquante et un mètre soixante-cinq, jamais plus. Pourtant il avait tout essayé. Les thérapies pour gagner en confiance, les médicaments, les livres. Il avait partagé le quotidien de gens en détresse totale, pour se remonter le moral. Parfois, il décidait de lézarder, de rester chez lui, sans se mettre aucune pression, juste profiter de la vie, un livre, une bière et alors, il grandissait jusqu’à un mètre soixante-cinq. Mais au moment de se coucher, il gambergeait : « Qu’est-ce que tu as fait de cette journée ? Rien ! Tu as perdu ton temps, gâché ta vie ! » et il se réveillait à un mètre cinquante. Rien n’y faisait, il ne gardait jamais confiance en lui assez longtemps pour atteindre un mètre soixante-quinze. Il lui semblait pourtant que s’il retrouvait cette taille, s’il cessait de lever la tête pour parler aux autres, une certaine assurance lui reviendrait naturellement. Il fallait juste tenir alors qu’il lâchait toujours. Malgré Hélène.

Ce jour, il défendait un projet important devant des investisseurs. S’il réussissait, il était persuadé de grandir jusqu’au gabarit fatidique. Pour cela, encore devait-il se présenter avec une stature décente. Personne ne confierait son argent à un type affichant un mètre cinquante. Il devait impérativement toiser plus d’un mètre soixante-cinq . Sa rencontre avec Frédéric le rapprochait, mais pas assez. En se rendant à son entretien, il croisa essentiellement des gens plus petits que lui. Une chance incroyable. Il reprenait petit à petit foi en lui. À ce rythme, il démarrerait la réunion à un bon mètre soixante-dix.

Lorsqu’il pénétra dans le hall de l’immeuble où il devait défendre son projet, il tomba sur une réceptionniste tutoyant les deux mètres.

Qu’est-ce qu’elle fait à ce poste avec une assurance pareille ?

Semblant lire dans ses pensées, elle lui sourit gentiment :

— Je remplace un ami, rien de plus.

Il sortit son PC, vérifia le projecteur, tout était en place. Il ne dépassait pas un mètre soixante-cinq, mais cela suffirait. Comme il prendrait de la confiance pendant son exposé, il finirait certainement à un mètre soixante-quinze ou plus et l’effet s’avérerait saisissant pour les investisseurs qui, il n’en doutait pas, lui remettraient leur argent les yeux fermés. Il gagna un centimètre à cette pensée.

Enfin quatre hommes et deux femmes firent leur entrée. Adrien n’en revenait pas : pas un au-dessus du mètre quarante.

— Des nains, les investisseurs sont des nains ! C’est incroyable.

Et il prit alors conscience qu’il était beaucoup plus grand qu’eux et que s’il continuait à croître, cela pouvait devenir carrément gênant. L’angoisse le réduisit un peu, à peine assez.

Puis, tentant le tout pour le tout, il se lança, oubliant sa taille, ses problèmes. Il les convainquit aisément et rentra chez lui, du haut de son mètre quatre-vingt. Il avait enfin réussi. Il venait de pénétrer dans le cercle des winners !

Il ne tenait plus d’impatience : il devait en parler à sa femme. Il devait faire l’amour à sa chérie. Il allait pouvoir la porter dans ses bras. Les larmes lui montaient aux yeux : son amazone, il allait soulever son amazone. Elle qui lui avait si souvent reproché d’être si petit.

— Je t’ai connu à un mètre soixante-cinq, tu étais une promesse de mètre quatre-vingt. Maintenant, lorsque tu touches le mètre soixante-dix, tu me parais un fraudeur.

Mais ce soir, il allait lui montrer. Il entra dans l’appartement en silence, chercha Hélène, ne la trouva pas, essaya le téléphone, rien non plus, alla se servir une bière dans la cuisine et lut sur la table :

— J’ai bien réfléchi. Je dois être la cause de tes problèmes de taille. Je te castre. Je m’en vais. Oublie-moi.

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Valery

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Valery

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