Je suis heureux de vous présenter la cinquantième – CINQUANTIEME – “Nouvelle noire pour se rire du désespoir” et treizième de la saison 3, ou S03E13. Cinquante nouvelles depuis le 22 août 2015. Cinquante nouvelles dont un bon paquet que vous ne pourriez lire nulle part ailleurs. Les enculés, Porno blaireau pour ne citer que les plus récentes mais aussi La dent et sa suite L’autre dent. Trop con pour être père, Putain de cafetière ou Un mal de chien pour les plus drôles. Et pour les plus tristes, les plus plombantes, je pense avoir réussi mon coup avec Le goût de la vie, Le sourieur ou L’écrivain qui n’écrivait rien. Bref, sans fausse modestie et avec un peu de melon, je pense avoir créé un univers qui me ressemble, avec des dialogues punchy, des situations originales et des chutes souvent coup de poing.

Et pour cette cinquantième ? C’est un peu ma réponse à la mièvrerie générale qui enrobe cette période, pour ne pas dire la niaiserie. Chez les lecteurs ou chez les écrivains. Des histoires gentillettes pleine de bons sentiments totalement déconnectées du réel. Alors pour cet “Esprit de Noël” version 2017, je vous emmène dans le réel. Juste un type qui se rend au boulot un 24 décembre. Avec un vrai bon esprit de Noël.

Et rendez-vous pour la centième quelque part en 2021.

J’ai autant envie d’aller bosser que de me coincer une couille dans la fermeture éclair. Cette pensée m’obsède tellement que je ne songe à rien d’autre tandis que je mets mon jean. La seconde d’après, je m’observe, en larmes, devant mon miroir, une couille dépassant grotesquement. Je devrais hurler à la mort, me plier en deux; le ridicule de la situation anesthésie la douleur. Momentanément.

Je sors de chez moi, la tête lourde, le testicule fragile, le moral en berne.

Je marche pour atteindre le métro et je m’interroge : pourquoi, pourquoi en suis-je là ? Qu’ai-je pu rater ?

Travailler un 24 décembre ne me pose aucun souci, c’est bosser tous les autres jours qui représente le fond du problème.

Je salue le père Noël déguisé en clodo qui cuve sa vinasse dans ma rue. Il me montre un majeur bien tendu. Je m’arrête. Je l’observe.

– Curieuse façon de témoigner votre esprit de Noël.

– Pas assez gros ? Retourne-toi, tu le sentiras mieux mon esprit de Noël, enculé.

Faudrait écrire un livre sur la disparité de réactions que peut engendrer une telle remarque. Notamment sur la même personne, selon son humeur, sa condition, etc. C’est à cela que je pense tandis que ma chaussure cueille la joue du pochtron enguirlandé. J’aperçois une dent quitter sa bouche.

– T’as raison, l’esprit de Noël, c’est un esprit de partage, on peut pas le garder pour soi.

Et ce disant, je lui assène un coup de pompe sur le tarin, tarin qui libère une rivière d’un sang bien assorti au costume du clodo.

– Voilà, t’as plus qu’à chercher le vrai père Noël et lui demander un nouveau pif. Fumier.

Je le laisse là, non sans lui recoller un marron dans les côtes.

– Ça, c’est parce que t’as été particulièrement gentil cette année.

La rue est déserte ou presque, et les quelques passants imitent très bien les aveugles, tournant la tête dans une direction neutre, quitte à se faire un torticolis pour ne pas avoir à aider ce clochard. J’ai bien envie de leur péter la gueule aussi.

Non, mais regardez-moi ce type à chapeau qui préfère se prendre un poteau plutôt que de porter secours à ce clodo. Quelle espèce d’ordure !

– Bravo ! Belle mentalité. Le 24 décembre, vous laissez le père Noël se faire tabasser, vous faites semblant de ne rien voir ! Vous me dégoutez.

J’entends le clodo marmonner dans mon dos :

– Les gens sont des merdes, je le dis toujours.

Le chapeauté se la joue Fregoli, empruntant le costume du sourd avec autant de facilité que celui de l’aveugle. Je me décale pour le bloquer. Il tente l’esquive, mais je l’attrape au col.

– Tu laisserais un mec crever sous tes yeux. Une femme se faire violer sans ralentir ? Ordure ! Qu’est-ce que tu as à répondre ?

– Salop, bougonne le clodo.

– Mais lâchez-moi, je n’ai rien fait.

– C’est bien ce qu’on te reproche ! aboyons-nous.

Il est assez difficile de parler intelligiblement en donnant un coup de boule, mais c’est possible. Le type perd son chapeau qui va rouler vers le père Noël, se touche le visage, plus, je crois, de stupeur que de douleur, mais le coup de pied que je lui balance dans les parties convoque la souffrance sans délai.

Le clochard, dont le sang a barbouillé la tronche, rouge de haut en bas, rampe vers le type qui se tient les couilles à genoux. Le clodo le tire pour le faire tomber.

– Fumier, tu m’aurais pas aidé, hein.

Il me prend à témoin, ce que je trouve cocasse :

– T’as vu un peu ? C’est à cause d’enculés comme ça que le monde est dégueulasse. Tu sais ce que disait Einstein ?

– Que tout est relatif ?

Il me toise de son bout de trottoir :

– Ne sois pas trivial. Non, que pour que le mal gagne, il suffit que les gentils ne fassent rien. Fumier de gentil, va.

Et il lui écrase la tête contre le bitume.

De rage, je colle un dernier coup de latte dans le type au chapeau et je continue ma route. Je marche quelques instants, me calme petit à petit, et tandis que l’adrénaline refoule, le désespoir revient. Je descends dans les entrailles du métro. Le terme d’entrailles s’adapte parfaitement au métro parisien qui pue la pisse et la merde à longueur d’année.

Je longe le couloir, observe les pauvres hères vautrés sur les sièges, suis pris de pitié pour eux, mais comme je n’y peux rien ou peut-être que si mais je ne sais plus trop, j’ai envie de les voir disparaitre. Je pourrais en pousser un sous une rame pour que leur misère ne me rappelle plus à quel point j’en suis responsable. Mais ce serait se comporter comme l’enculé au chapeau alors j’abandonne et me prépare à trente minutes sinon de bonheur, de paix. Trente minutes de lecture.

Je pénètre dans le wagon presque vide à cette époque, me pose, au calme, et commence à lire. Mon cœur, mon corps, mon âme se détendent. Quelle que soit ma vie de merde, mon absence de perspective, j’ai au moins ces trente minutes pour moi.

À l’arrêt suivant, j’entends :

– Bonjour messieurs, dames.

Je lève la tête, une femme avec son caddie de Satan, car il ne peut venir que de l’enfer cet ampli qui ne produit que des sons corrompus, hideux. Elle porte le micro à ses lèvres et s’apprête à déverser de l’acide sur ces notes pestilentielles et entame “Love me” de Polnareff. Mes yeux vont exploser avant mes oreilles, je n’en reviens pas, jusque dans mon wagon, un 24 décembre, tu vas me chier ton love dans la gueule. Ça ne sera pas. Elle minaude, la Mylène Farmer du lumpenprolétariat, elle s’investit, je serais presque touché par son enthousiasme si cette chanson de merde ne me vrillait pas les tympans. Je déteste Polnareff, j’exècre ce McCartney de supermarché. Tout le monde devrait abhorrer Polnareff. Puisque visiblement l’humanité ne peut pas se retrouver autour d’un but commun positif, on devrait pouvoir communier dans une haine partagée, la haine du sirop de pisse auditif que Polnareff nous impose depuis des décennies.

Elle termine sa chanson dans l’indifférence générale, ce qui me met un peu de baume au cœur. Mais elle reprend :

– Ayons une pensée pour Michel Polnareff qui souffre actuellement à l’hôpital. Et souhaitons-lui un joyeux rétablissement.

Quelle conne, non mais quelle conne. Cette ordure qui nous a volé des millions d’euros, des euros qui auraient pu l’aider à retrouver du travail, à améliorer un peu son sort, cette conne tresse des lauriers au fumier. Elle ajoute :

– J’aimerais être à sa place si c’était possible.

Je me lève. Ah, mais si y-a que ça pour te faire plaisir…

Elle m’observe tandis qu’elle entame une autre chanson de Polnareff, qui sonne à mes oreilles comme une marche funèbre.

Esprit de Noël oblige, je préviens avant les hostilités :

– Madame, il faut arrêter de nous imposer ce type. C’est méchant. Mais si voulez prendre sa place à l’hôpital, procédez.

Elle ne comprend pas, forcément, et continue à chanter.

Je quitte la rame, satisfait. La conne git dans son sang. Avec les quinze sauts sur sa cage thoracique, ce sera bien le diable si elle calanche pas d’une embolie pulmonaire comme son idole.

Je finirais à pied. Pas pressé d’arriver. Sur le chemin, je croise un mec qui fait la manche. Un de plus. Il a un gros pied, tout pourri. Énorme, difforme, inutilisable. Je vois mal comment il pourrait courir. Je lui pique sa soucoupe où traine une vingtaine d’euros et je pars, juste en marchant vite. Il se lève, trotte, boite derrière moi. J’accélère le pas. Je me retourne, le regarde en souriant :

– T’es en train de te faire semer par un mec qui fait de la marche rapide. Je cours même pas, hein !

Il gueule, m’insulte, braille, mais je le laisse derrière moi. Quel con ! Esprit de Noël de merde. Enfin, j’arrive au bureau. Je fixe le hall. J’observe les portes d’entrée qui chaque matin signifient ma sortie du monde des vivants.

Je dis bonjour au vigile qu’on nous impose depuis peu. Et pris d’une inspiration, je m’arrête :

– Au niveau boulot de merde, ça se passe comment dans votre cas ? Je veux dire, vous n’hésitez jamais entre faire clodo ou votre boulot ? Votre boulot, clodo, clodo, votre boulot ? Non, vous avez raison, clodo, faut surement des capacités que vous n’avez pas. Restez à ce niveau-là. Bonne journée et joyeux Noël.

Et je m’engouffre dans l’ascenseur.

Je passe une journée de merde, de ces journées qui font vouloir mourir et lorsque je sors, c’est un autre vigile. J’hésite à me le payer aussi. Mais c’est Noël après tout.

Je sors et je tombe sur le vigile de ce matin. Il sourit, un sourire qui rappelle étrangement celui du joker. Il lève le bras et je pense qu’il a un flingue dans la main. Mais non, il brandit un téléphone. Sur lequel il a enregistré mon petit monologue du matin.

– Votre patron et les réseaux sociaux seront enchantés. Dans une boite qui se la raconte éthique, ça fera très bon esprit. Très bon esprit de Noël, se marre-t-il.

Je vais t’en montrer de l’esprit de Noël moi.


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Valery

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Valery

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